«Une contemplation ouvertement mystique du phénomène sonore»
Plus qu'un continent oublié, la musique de Jean Catoire est un univers dont le monde musical ne soupçonne pas encore l'originalité et l'importance.
Ses multiples activités pédagogiques dans le domaine de la direction d'orchestre et celui de la composition ne lui laissèrent pas le temps de se consacrer à une carrière de chef (il fut élève de Léon Barzin) ni avant tout à la promotion de son œuvre de compositeur d'une abondance assez déconcertante puisqu'elle totalise 467 numéros d'opus en quarante ans (1948-1988).
Né en 1923, élève d'Olivier Messiaen comme beaucoup d'autres compositeurs de sa génération, il n'a pas voulu appliquer dans sa musique l'enseignement de son maître et c'est en se rapprochant des esthétiques de Bartok ou de Hindemith qu'il se marginalise vis à vis de ses contemporains «d'avant garde», menant à l'insu de tous une trajectoire surprenante, le conduisant bientôt à une prémonition étonnante des musiques minimales et répétitives des années soixante-dix, mais d'une manière tout à fait différente puisqu'étant la conséquence d'une élaboration très serrée de la thématique (souvent travaillée en canons ou en imitations) et venant en droite ligne des insistances obsessionnelles que l'on trouve par moment chez Beethoven ou Bruckner, et non pas d'une réaction à un quelconque intellectualisme.
Car la démarche de Jean Catoire inclut une forme d'intellectualité sous l'aspect d'une lucidité intense qui donne l'impression à l'écoute que le compositeur scrute en permanence le matériau thématique (et non pas le son, à la différence d'autres compositeurs), une lucidité qui est peut-être une des clés de la pensée du compositeur qui se réclame cependant non pas du titre de créateur, mais de transcripteur, autrement dit, de médium, de récepteur. Une réception dont il s'agit de prendre conscience en négociant avec ce qu'elle transmet de la façon la plus radicale c'est-à-dire la plus fidèle. Et c'est en allant au bout de celle fidélité que s'ouvre pour Jean Catoire au début des années soixante une «deuxième période», conséquence logique de la première et pourtant nouveau départ après lequel toute référence à une quelconque forme classique ou à son corollaire «le contraste» est définitivement bannie au profit d'une contemplation ouvertement mystique (bien que ses œuvres ne comportent aucun titre) du phénomène sonore, au-delà même de toute préoccupation «musicale». C'est cette partie de l'œuvre de Jean Catoire, sans doute l'une des plus singulières de l'histoire de la musique, que l'on aurait pu qualifier d'utopique en raison des durées d'exécution dépassant parfois six heures, Si le compositeur n'avait pas eu la sagesse (ou la lucidité encore !) de laisser (en la codifiant bien sûr) une liberté d'exécution concernant les tempos, réduisant ainsi jusqu'à plus de quatre fois la durée des œuvres et en permettant de n'en jouer qu'une partie. Car cette musique n'a ni début ni fin, elle habite un temps vertical, un temps qui eut cours jadis dans l'Occident des modes grégoriens ou encore aujourd'hui en Orient. Mais la musique de Jean Catoire n'est rien moins qu'orientale, et c'est à une quête spirituelle adaptée à une sensibilité occidentale qu'elle nous convie. A l'approche du nouveau millénaire ce n'est donc pas un hasard si après des décennies de marginalité l'œuvre de Jean Catoire nous fait signe de la rejoindre pour annoncer ensemble le retour aux sources auquel devait penser Malraux lorsqu'il prophétisait «Le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne sera pas».